Mission régalienne par excellence de l’Etat, la justice représente une goutte d’eau dans le budget de l’état. En effet, le budget allouée à la justice (prisons, salaires des personnels, locaux, protection de l’enfance, aide aux victimes, aide juridictionnelle…) est de 7,7 Milliards d’euros. C’est-à-dire moins que pour l’écologie et le développement durable (8,4 Milliards), domaine loin d’être régalien.
Pour comparer cela avec les autres pays d’Europe, nous sommes classés au 37e rang sur 40. Et si l’on s’intéresse aux pays semblables à la France, ils consacrent deux fois plus d’argent à cette mission (0,40% du PIB/habitant pour l’Allemagne, et 0,43% pour le Royaume-Uni). Ces pays ont également le double de magistrats (soit 20 pour 100.000 habitants[1]), ce qui théoriquement devrait au moins garantir une justice deux fois plus rapide que la nôtre, et quand on sait que la célérité de la justice française n’est pas vraiment la marque de fabrique de notre institution si je peux me permettre l’euphémisme, on comprend dès lors l’urgence qu’il y a pour le pays à revenir à ses fondamentaux.
C’est dans ce contexte déjà tendu
et démoralisant que les avocats ont appris la baisse programmée du budget
alloué à l’Aide Juridictionnelle, ce qui a conduit à une journée de
manifestations vendredi dernier.
Alors qu’est-ce que cette Aide Juridictionnelle ?
Pour faire très simple l’Aide
Juridictionnelle, c’est ce qui ressemble au « commis d’office » dans
les films américains. Quand vous êtes pauvre, il serait profondément injuste de
vous laisser seul sans avocat, et donc sans une défense équitable: les hommes ne sont-ils pas égaux en droit? L’article 6
de la Convention européenne des droits de l'homme y veille, ainsi que l’article
16 de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
et la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU.
En accord avec ce socle solide de
grands principes de la justice, la France a développé le mécanisme de l’Aide
Juridictionnelle : Les personnes aux faibles ressources (moins de 929 €
pour l’Aide Juridictionnelle totale, et jusqu’à 1393€/mois maximum pour l’Aide
Juridictionnelle partielle. Notez que ces conditions de ressources peuvent être
revues légèrement à la hausse si vous avez un enfant par exemple) voient tout
ou partie de leurs frais d’avocat, de notaire, d’expertise ou d’huissier pris
en charge par l’Etat.
Chaque type d’affaires, donne forfaitairement droit à un certains nombres
d’UV (Unité de valeur) valant 24,54€ l’unité pour l’AJ totale et 22,50€ pour
l’AJ partielle. Ainsi, les auxiliaires de justice sont dédommagés après leur
mission en fonction d’un barème précis.
Par exemple, pour un divorce par
consentement mutuel à l’AJ totale, l’avocat percevra 30 UV, soit 736,20 euros
TTC (ce qui est très souvent inférieur au SMIC horaire au final). Ce tarif est entre 2 et 3 fois inférieur au tarif moyen du marché (hors
cas spécial du low cost sur internet). La même logique de sous-tarification est
présente pour toutes les procédures. En soit, cela n’est pas un problème si
l’on considère qu’il s’agit d’une mission d’un intérêt spécial et qu’en
l’absence de ce mécanisme, les justiciables n’auraient même pas engagés de
procédure.
Cependant, cela peut se révéler
problématique dans les domaines très peu rémunérateurs (droit des étrangers…)
ou dans les zones très touchées par la pauvreté. Travailler exclusivement à
l’AJ fera de vous un saint, mais aussi un SMICard, ce qui pose donc d’une autre
manière un problème d’accès à la justice (certains cabinets d’avocats refusent
de travailler à l’AJ).
Qui paye l’Aide Juridictionnelle ?
Cette question soulève une
anomalie flagrante, et qui selon moi est scandaleuse, car son financement est
contraire à l’égalité d’accès à la justice.
En effet, pour financer l’Aide
Juridictionnelle, les personnes qui ne n’en bénéficient pas, doivent
s’acquitter d’une timbre fiscal de 35€ pour introduire leur instance en matière
civile, commerciale, prud’homale, sociale, rurale devant une juridiction
judiciaire et pour toute instance introduite devant une juridiction
administrative[2]. Oui,
vous avez bien lu pour accéder à la
justice vous devez payer en plus de vos impôts, alors que la justice
concerne tout le monde. Demande-t-on un timbre fiscal lorsque l’on va déposer
plainte ? Demande-t-on un timbre fiscal à la victime qui fait appel aux
pompiers ? Demande-t-on un timbre fiscal au juge qui envoie un condamné en
détention ?
En plus, grâce à ce fantastique
mécanisme du timbre fiscal, 4% de la somme est réservée aux buralistes. Et ne
vous croyez pas mieux lotis en achetant votre timbre électronique, 5% sont
destinés aux banques.
Ce système est pour le moins
curieux, d’autant que le montant des sommes versées est insuffisant au
financement complet de l’Aide Juridictionnelle.
C’est pourquoi depuis environ 1 an une
réforme de son financement est envisagée par Christiane Taubira. Outre la
baisse qui fait grincer des dents du budget alloué à l’Aide Juridictionnelle (308
Millions d’euros, soit 32 Millions de baisse par rapport à 2013), il est clairement envisagé une taxe de 0,2%
sur le chiffre d’affaires des avocats[3].
Avec une telle logique, demain,
il pourrait être possible que les policiers soient spécialement taxés sur leurs revenus pour
financer leur mission…
Pour l’instant devant la
mobilisation des avocats, Madame Taubira a annoncé le report de sa réforme à
2015. Surement l’un des effets secondaires des élections municipales qui
s’annoncent et qui ont hypocritement permis aux politiciens de prendre
conscience de l’existence d’un « ras le bol fiscal » qu’ils
comprennent parfaitement, évidement…