Depuis la médiatisation du combat courageux de Laurent C.[1] fleurissent les articles très optimistes affirmant que le monopole de la sécurité sociale est mort. Oui mais non….
C’est avec condescendance que les
observations et objections de Xavier Méra[2]
ont été repoussées par Claude Reichman[3]
du haut de son objectivité évidente… Or Xavier Méra avait fait le travail
intellectuel qu’il convenait d’effectuer, comme pour rappeler qu’il ne faut
jamais prendre ses désirs pour la réalité. Ce n’est pas l’idée louable de
vouloir mettre un terme au monopole de la sécurité sociale qui est critiquée
ici, mais simplement le fait IRRÉFUTABLE qu’aucune instance n’a jamais reconnu
la fin du monopole de la sécurité sociale (de près comme de loin), la doctrine
juridique est unanime[4].
L’erreur grossière de Claude
Reichman, et d’H16 qui reprend les thèses du MLPS[5],
c’est, par militantisme, de proclamer l’existence de droits acquis en interprétant
poussivement divers éléments au mépris du droit positif, qui déclare l’inverse.
Seul un juge possède un tel pouvoir prétorien, et surement pas le MLPS qui se
livre à un numéro d’astrologie pour y voir l’expression divine de la
reconnaissance de son argumentation.
Un monopole reposant sur un principe
supérieur à la libre concurrence, selon la constitution : la solidarité.
Pourquoi est-on obligé d’être
affilié à un régime de sécurité sociale en France ? Les arguments retenus
par les juridictions françaises sont clairs et peuvent se résumer ainsi :
- La législation de la sécurité sociale est d’ordre public. Ce caractère d’ordre public a une portée générale et encadre l’ensemble des dispositifs légaux de sécurité sociale. Cette législation s’impose aussi aux professions indépendantes. Elles sont donc soumises aux conditions légales d’assujettissement. Par conséquent, toute personne qui travaille et réside en France est obligatoirement affiliée au régime de sécurité sociale dont elle relève (régime général, régime des TNS ou régime spéciaux).
- Le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des états membres pour aménager leur système de sécurité sociale. Les régimes légaux de sécurité sociale sont exclus du champ d’application de la directive 92/49 (arrêt du 17 février 1993, aff C-159/01 et C-160-91).
- Les régimes de sécurité sociale sont fondés sur un principe de solidarité qui rend ces régimes obligatoires, afin d’assurer leurs équilibres budgétaires, et les placent en dehors des lois du commerce.
- Les organismes de sécurité sociale fondés sur un mode de fonctionnement par répartition et non capitalisation ne sont pas des entreprises au sens des directives 92/49 et 92/96 CEE.
Illustration d’application de ces
principes : CA Paris, 18e ch. B,
1er mars 2007 n° 2007-329485 :
« Le régime obligatoire d'assurance maladie et maternité des travailleurs
non-salariés non agricoles constitue un régime de base de sécurité sociale
fondée sur la solidarité nationale, non sur des principes tenant à la loi du
commerce, de sorte que les organismes sociaux en charge de la sécurité sociale
ne sont pas des entreprises au sens du traité de Rome » ; il est exclu du champ
d'application des directives européennes n° 92/49 et 92/96. L'obligation pour
un travailleur indépendant exerçant l'activité libérale de conseil de
s'affilier à la Caisse d'assurance maladie des professions libérales
d'Île-de-France (CAMPLIF) qui gère ce régime, ne constitue donc pas une
violation du traité de Rome. »
Ici, le cas d’un chirurgien-dentiste
contre sa caisse de retraite, où la Cour comme dans d’autres arrêts refuse la
QPC car non sérieuse : CA Rouen 27
Novembre 2012 :
« La question prioritaire de constitutionnalité portant sur les
dispositions des articles L. 611-1 à L. 652-7 du livre 6 du code de la sécurité
sociale ainsi que les articles L. 722-1 à L. 723-24 du livre 7, titre 2, du
code de la sécurité sociale, en ce qu'elles organisent les régimes de sécurité
sociale des travailleurs non salariés et des professions libérales en rendant
obligatoire l'affiliation à ces régimes n'a pas lieu d'être transmise à la Cour
de cassation ; elle est en effet dépourvue de tout sérieux dès lors que, d'une
part, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la notion
d'entreprise, au sens des articles 85 et 86 du Traité, ne vise pas les
organismes chargés de la gestion de régimes de sécurité sociale et que les
Etats membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de
sécurité sociale (arrêt du 17 février 1993, aff C-159/01 et C-160-91), en
relevant que les régimes de sécurité sociale fondés sur le principe de la
solidarité exigent que l'affiliation soit obligatoire afin de garantir
l'application de ce principe et l'équilibre de ces régimes, d'autre part,
chargée de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale fonctionnant
sur un mode de répartition et non de capitalisation fondé sur la solidarité nationale,
la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes ne
constitue pas une entreprise au sens du Traité instituant la Communauté
européenne susceptible d'entrer dans le champ d'application des directives
92/49/CEE et 92/96/CEE (voir notamment Cass, 2ème, 23 septembre 2010, pourvoi
n° 09-16.607), enfin, la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection
sociale complémentaire des salariés et portant transposition des deux
directives précitées n'a pas mis fin au caractère obligatoire de l'affiliation
des salariés notamment au régime général de sécurité sociale. »
Autre exemple : CA Chambéry, 18 décembre 2012 « Le docteur VERINE a
contracté une assurance maladie auprès d'une société d'assurance européenne et
estime en conséquence être exonéré de la CSG et de la CRDS sur ses revenus
d'activité et de remplacement. […]Attendu en conséquence que le docteur
VERINE est assujetti à la CSG et à la CRDS ; que les montants qui lui sont
réclamés ne sont pas critiqués;
qu'il y a lieu de débouter M. VERINE de son appel et de
confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, y compris le prononcé
de l'amende en application de l’article R. 144-10 du code de la sécurité
sociale » ; dans le même esprit : Cass. soc., 5 févr. 1998, n° 95-15.258 ;
Cass. com,. 6 avr. 1993 ; Cass. crim., 17 mars 1992, n° 1992-001926
; CE, 21 oct. 1998, n° 188682 ; Cons.
conc., n° 93-D-20, 8 juin 1993 ; Cass. soc., 22 juin 2000, n° 2000-002508 ;
Cass. soc., 3 févr. 2000 n° 2000-000384. De quoi vous assurer qu’il s’agit
d’une jurisprudence solidement établie.
Et pour finir l’exemple le plus
récent à notre disposition, duquel je laisse l’argumentaire développé par le
plaignant (vous remarquerez à quel point il ressemble à celui du MLPS) : Cass. Civ. 2e 25 avril
2013, n°12-13234 :
« M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors, selon le
moyen, que transposée par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, l'ordonnance n°
2001-350 du 19 avril 2001, ainsi que par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001,
les Directives européennes n° 92/49/CEE et n° 92/96/CEE du 18 juin 1992 et du
10 novembre 1992, adoptées sur le fondement des articles 85 et 86 du Traité CE
(devenus les articles 101 et 102 TFUE), s'appliquent aux assurances non vie
comprises dans un régime légal de sécurité sociale pratiquées par des
entreprises ; que sont des entreprises les caisses de sécurité sociale,
organismes de droit privé chargés d'une mission de service public qui, dans la
gestion du système de protection sociale des professions agricoles, exercent
une activité propre et constituent des unités économiques de services, excluant
ainsi tout monopole ; qu'en jugeant le contraire pour refuser à M. X... le
droit de choisir librement le régime général de protection sociale aux lieu et
place de celui applicable aux professions agricoles et pour le débouter de son
opposition à contrainte, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Mais attendu que les dispositions des directives du Conseil des
communautés européennes des 18 juin 1992 et 10 novembre 1992 concernant
l'assurance ne sont pas applicables aux régimes légaux de sécurité sociale
fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d'une affiliation
obligatoire des intéressés et de leurs ayants droit énoncée à l'article L.
111-1 du code de la sécurité sociale, ces régimes n'exerçant pas une activité
économique ».
« L’abrogation du monopole de la sécurité sociale n’est plus depuis longtemps un problème juridique. » © Claude Reichman. - Juste un peu quand-même non?
Incitation à se soustraire à un régime
obligatoire : Attention l’interdiction est TOUJOURS en vigueur.
« Toute
personne qui, par voie de fait, menaces ou manœuvres concertées, a organisé ou
tenté d'organiser le refus par les assujettis de se conformer aux prescriptions
de la législation du présent livre, et notamment de s'affilier à un organisme
de sécurité sociale, ou de payer les cotisations dues est punie d'un
emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros. »
Contenant des dispositions
rappelées une seconde fois (histoire que même les plus bêtes puissent
comprendre que c’est vraiment interdit…) à l’article L. 114-18 du code de la sécurité sociale :
« Toute personne qui, par
quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux
prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de s'affilier
à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions
dues, est punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 € ou de
l'une de ces deux peines seulement. ».
La
jurisprudence ne s’embarrasse pas des gesticulations sémantiques, l’interprétation
fallacieuse des directives européennes ne protège en rien contre la
reconnaissance de l’infraction pénale ici réprimée (je rappelle au passage que
s’il y a eu suppression de l’alinéa 2 de l’article L. 652-7 du code de la
sécurité sociale, c’est dans un souci de prescription des poursuites et non pas
de créer au MLPS un boulevard interprétatif, enfin chacun voit midi à sa porte…).
Cette
disposition a d’ailleurs (fait rare car souvent elle est en dehors des demandes
initiales) fait l’objet d’une application à l’encontre d’un groupe de « défense
des commerçants et artisans (CDCA) » qui appelait, par messages
électroniques, les travailleurs non-salariés à ne pas payer leurs cotisations
et à introduire des procédures manifestement abusives, la fameuse désobéissance
civile (Cass. crim. 13 déc 1995 :
Bull. crim. 1995 n°383). Cette position est soutenue notamment par le
professeur P. Morvan, à l’Université Panthéon-Assas, auteur de nombreux
ouvrages de référence, y compris sur le droit de la sécurité sociale[6].
Quant aux
personnes soumises à l’obligation de cotisation, elles encourent des
redressements de cotisations (ce qui peut rapidement s’élever à des montants
énormes, régulièrement plus de 30.000 € pour vous donner un ordre de grandeur). Soyez donc très prudent.
Conclusion.
En résumé, il ne faut pas vendre
la peau de l’ours avant de l’avoir tué, et pour le tuer il va falloir prendre
de plus grosses munitions. En effet, avec des politiciens opposés à la fin de
ce monopole, avec une Union européenne qui ne veut surtout pas s’en mêler, et
avec une justice nationale tenue par une interprétation stricte de la
législation, il va falloir arrêter de se satisfaire de l’auto-conviction qui pourrait causer de graves ennuis aux
personnes trompées par ces discours erronés. Si le MLPS est si certain de son
fait, demandez-lui de vous rembourser vos frais de justice et condamnations
éventuelles… La libéralisation de la sécurité sociale : oui. L’instrumentalisation
de tiers : non.
[4] Exemple Jean-Philippe
Lhernould (dont je vous conseille la lecture de son commentaire sous l’arrêt
Cass. 2E civ. du 25 avril 2007 n°06-13.743 paru au Jurisclasseur).
[6] http://livre.fnac.com/a6099565/Patrick-Morvan-Droit-de-la-protection-sociale
pour combler de grosses lacunes…